Impossible, aujourd'hui, de mépriser ou d'ignorer
le Buggy : il est devenu par trop efficace. Pour la troisième fois consécutive,
cette drôle de petite bagnole, qui fait sourire ou ricaner, vient de s'imposer
sans rémission devant les jeeps les plus ambitieuses du Rallye des Cimes.
R. VERDELET (L'automobile Novembre 1975)
Buggy correspondrait au diminutif de bug, punaise, insecte. C'est littéralement l'insecte des sables.
Tout commença vers les années soixante, lorsqu'un
ingénieur américain découvrit les émotions d'un
jeu nouveau : le pilotage sur le sable d'une vieille voiture équipée
de pneus surdimensionnés. Son exemple fit école et les étendues
désertiques du Sud des Etats-Unis ne tardèrent pas à servir
de terrain d'exercices à toutes sortes d'engins plus ou moins réussis
mais dont le défaut commun était le poids très excessif.
Le Buggy allait prendre son essor grâce à un technicien du plastique
: Bruce F. Meyers, qui trouvait le moyen d'alléger merveilleusement les
Buggy de l'époque en les dotant tout simplement d'une autre carrosserie,
en plastique. L'équipement était laissé à l'imagination
de chacun. La petite histoire raconte que Bruce F. Meyers, qui construisait
des bateaux, décida un jour de vendre sa Volkswagen et de s'acheter une
Potsche d'occasion. Seulement, l'affaire conclue, il découvrit avec consternation
que la coque était faussée. Il décida alors d'en fabriquer
une autre qu'il équiperait des éléments moteur de sa VW.
Le résultat de cette initiative dépassa ses espérances
et, poussé par son entourage, Meyers entreprit la construction en série
d'un kit vendu 985 dollars du moment. Le «MeyersManx» était
né, et un nouveau pas fut rapidement franchi quand le constructeur lança
un nouveau kit : le MK II, une carrosserie pouvant se boulonner sur la plateforme
Volkswagen.
Quelques années plus tard, il fallait s'y attendre, la mode du Buggy
prit naissance en Europe. Mais les prix élevés des kits de transformation,
importés ou fabriqués en très petite série et, surtout,
les difficultés d'homologation des services administratifs freinèrent
considérablement l'essor des Bugs dès lors réservés
aux inconditionnels de la bricole et aux sportifs licenciés.
Parallèlement aux Bugs se développait, en Grande-Bretagne et un
peu plus tard en France, l'autocross. Des formules de promotion du tout-terrain
automobile créées par Citroën et Renault, qui utilisent respectivement
des 2 CV et des R 4 de série, prennent naissance dans toutes les régions
de France mais principalement dans l'Est, en Normandie, dans la région
de Lyon et dans le SudOuest. Pour ces deux derniers centres, il faut également
remarquer que, d'un côté, Lyon (Chassagny) est le fief de l'autocross
qui se pratique aujourd'hui avec des monoplaces spéciales (équipées
d'un moteur de 1 000 à 1 300 cm3) et non plus avec des engins de stock-cars,
et que, d'un autre côté, le Sud-Ouest est d'abord le pays du Rallye
des Cimes. Une épreuve assez particulière mais qui, très
vite, sensibilisa tous les Buggy-men qui virent là un nouveau moyen de
jouer avec leurs machines.
Le Rallye des Cimes était, autrefois, une course entre montagnards disputée
sur les chemins les plus invraisemblables des Pyrénées. Créé
en 1951 par un hôtelier de Licq-Atherey, Sauveur Bouchet, dans un cadre
quelque peu familial, puisqu'il n'intéressait que les Basques, puis ultérieurement
les militaires: de la région de Pau, le Rallye des Cimes consacrait chaque
année le triomphe des Jeeps qui, depuis 1944, avaient remplacé
avec bonheur les mulets.
Puis un jour, en 1967, un Parisien : Roger Gossin, avec une Land-Rover, six
cylindres et volant cuir, vint tailler des croupières aux pilotes du
cru. Il s'imposa sans coup férir et l'hégémonie des Jeeps
en prit un sérieux coup. Les premières apparitions des Buggy dans
les Pyrénées fuient, au début, très timides puisl1u'on
ne permit à Thierry de Montcorgé, le premier à se risquer
là-bas, de ne suivre que la partie réservée aux deux roues
motrices, les voitures de week-end. Mais Montcorgé prit goût à
la chose. L'année suivante, il réussissait l'exploit de terminer
le parcours des « Grands» : les quatre roues motrices, avec son
Buggy à moteur Volkswagen. Dès ce moment, le Buggy commença
d'être pris au sérieux.
Ses pilotes étaient ambitieux et ne voulaient plus être à
la traîne du classement scratch, Aussi quand, en 1973, Thierry de Montcorgé
remportait l'épreuve, les adeptes de la Jeep commencèrent à
se poser des questions et certains, même, n'hésitèrent pas
à se reconvertir. Arnaud Bouchet, le fils de l'organisateur de l'épreuve,
abandonna le premier la Jeep pour passer au Buggy. L'armée également
passa au Buggy tout en conservant un contingent (très bichonné)
de Jeeps Wyllis. L'année dernière, un Bug triompha à nouveau.
Les inconditionnels de la Jeep avancèrent alors un dernier argument :
« D'accord quand le terrain est sec mais le jour où'il pleuvra
nous repasserons devant. » Hélas, cette année les orages
ont détrempé la montagne mais les Buggy ont encore vaincu.
Ce qu'il faut savoir, c'est qu'aujourd'hui le Buggy de montagne n'offre plus
rien de comparable avec le Dune Buggy. Le châssis Volkswagen raccourci
des premiers modèles a désormais fait place à un très
robuste châssis lubulaire sur lequel sont fixés dcux sièges
baquets (on peut ameIlcr un passager appelé « navigateur »)
un train avant complet de VW (direction et freins inclus) et un train arrière
de... Porsche 911 E ou T (freins à disques). L'ensemble pèse 650
kg pour une puissance d'environ 150 ch. C'est un rapport poids-puissance délicat
à utiliser vraiment au maximum dans la boue, les rochers, les fougères
et même le long des l'avins, dans les carrières et autres obstacles
sans rapport avec le macadam presque doaillet des circuits de vitesse. Ces machines
sont exclusivement destinées à la compétition mais il existe
deux versions routières : les « Apal- Tod » et les «
bab-Buggy». Le premier est homologué, pas le second. Les moteurs
proviennent pour la plupart, non plus des 1200 ou 1300 VW mais des 411, des
Alfa Romeo 1750 ou des grosses Ford. Les Chevrolet Corvair et Porsche S «
90» sont beaucoup moins recherchées qu'auparavant. Face à
ces épouvantails à deux roues motrices seulement mais surpuissantes,
souples et ultra-légères, les Jeeps marquent le pas. Pourtant
leurs défenseurs ne manquent pas d'idées non plus. Gretha, par
exemple, a rbssi à adapter un moteur Alfa Romeo dans sa Wyllis tandis
qu'Etchecopar fait conti nee, lui, à un V 6 Ford. On ne peut oublier
non plu.s l'indestructible Bergeror, toujours fidèle au Diesel, catégorie
qu'il dispute avec opiniâtreté, même s'il tend à devenir
le seul et l'unjque concurrent (les tracteurs Cournil ne participant plus à
l'épreuve). Mais, pour aussi pittoresque qu'elle . soit, cette participation
ne peut inquiéter les rois du Bug comme Yves Pachiaudi, un discret Grenoblois
qui s'occupait autrefois de Formule V et qui a su, grâce à ses
connaissances techniques et un pilotage très sûr, emmener son engin
à moteur VW à deux victoires consécutives 1974 et 1975,
sur le sec comme sur le mouillé (les Buggy, bien que les faits aient
prouvé le contraire, sont très handicapés dans la boue
à cause de leurs pneus et de leur seul essieu moteur.
A côté du Rallye des Cimes, qui devient décidément
son terrain de prédilection, le Buggy se distingue chaque année,
au Rallye Infernal, dans la région parisienne, tandis qu'aux Etats-Unis,
il règne hautla-main dans les fabuleuses épreuves du Mindt 400
et du Mexican 1000. La première est une course mixte qui accepte à
égalité les motos et les « quatre roues » motrices,
la seconde se déroule sur 1 600 kilomètres de pistes entre Tijuana
et la Paz. Les courses de côtes permettent également à ces
engins de briller grâce à leurs accélérations et
à leur maniabilité. Le « Bug », aujourd'hui, ce n'est
plus le joujou des sables, le « dune-Buggy», mais un véritable
passe-muraille dont les possibilités se rapprochent davantage de celles
des motos de Trial et d'Enduro que des cabriolets type Champs-Elysées
ou Promenade des Anglais. Il a perdu son élégance, certes, mais
il a prouvé son caractère. Il le fallait, c'était une question
de vie ou de mort.
Jean Perissé 75 sur un proto de sa conception
Les R4 Sinpar sont aujourd'hui par trop dépassées en puisssance
pouir prétendre gagner au scratch
En principe non autorisées, les séances de tirage et de levage
sont aussi fréquentes que nécessaires
Jacques Chancel sur les Cimes 75